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Édito

Le piège de l’illusion monétaire

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Richard Lebon

Depuis la présentation du Budget 2024-2025, nombre d’analystes ont exprimé des inquiétudes par rapport au caractère expansionniste de la politique fiscale. Fidèle à la philosophie de l’administration Jugnauth de prôner un modèle de développement plus humain et plus durable, le ministre des Finances a pris le parti de s’engager dans un périlleux exercice de discrimination positive consistant à améliorer le pouvoir d’achat de la classe ouvrière et des personnes âgées.

Soucieux de perpétuer l’héritage légué par sir Anerood Jugnauth, qui est perçu comme étant l’architecte du miracle économique des années 80, Pravind Jugnauth a tiré le bon numéro en choisissant comme son ministre des Finances Renganaden Padayachy, un docteur en économie qui s’est toujours inspiré des maîtres à penser du socialisme français, en l’occurrence Pierre Mendès France, Michel Rocard et Thomas Picketty, pour traduire dans le concret sa vision d’une société plus égalitaire.

Alors que le quinquennat touche à fin, l’on peut avancer que nous sommes devenus un pays résolument socialiste. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer notre système d’État providence qui est à rebours des recommandations du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Le pays a sans doute emprunté un chemin dont il pourra difficilement s’écarter. Car la population sait qu’elle est en position de force. La plateforme politique qui se présente comme l’alternance au régime actuel est condamnée à proposer des mesures sociales fortes, voire devra faire de la surenchère sous peine de se voir recaler. Et cela, l’alliance de l’Opposition Parti Travailliste-MMM-Nouveaux Démocrates l’a très compris. Celle-ci étudie d’ailleurs ces jours-ci l’option d’introduire dans son manifeste le quatorzième mois.

Une question fondamentale se pose : jusqu’où le gouvernement pourra-t-il poursuivre sa politique fiscale et politique monétaire expansionniste ? Tôt ou tard, le modèle actuel de croissance reposant sur la consommation pour dynamiser la demande intérieure va s’essouffler. Un changement de cap sera alors nécessaire. Il faut agir vite. Car, quand on considère avec recul les statistiques officielles, on serait tenté d’accréditer l’hypothèse des analystes qui pensent que le pays se mire dans une forme d’illusion monétaire, un biais cognitif qui pousse un agent économique à se satisfaire de la valeur nominale de son revenu, alors que dans les faits, son pouvoir d’achat réel est érodé par l’inflation ou par une monnaie faible. Là, il est important de souligner qu’en l’absence de la création de nouveaux piliers économiques depuis le début des années 2000 (hormis la mise sur orbite du secteur des Tic-BPO) et qu’en raison de l’effritement des accords préférentiels ayant touché l’industrie manufacturière et le secteur sucrier, les différents gouvernements qui se sont succédé ont été contraints d’adopter une politique de roupie compétitive.

Selon les chiffres compilés par AXYS dans son rapport intitulé Mauritius Economic Deep Dive, il ressort que la roupie s’est dépréciée de l’ordre de 66 % face au dollar entre 2000 et 2024. Toutefois, de 2000 à 2007, la roupie était relativement stable par rapport au dollar, ne perdant que -1,1 %. C’est avec l’éclatement de la crise économique que la Banque de Maurice va assouplir considérablement ses conditions monétaires. Ainsi, de 2007 à 2014, la roupie perdra -12 % vis-à-vis du dollar. Depuis 2014, la dépréciation de la roupie s’est accélérée avec la monnaie locale cédant 46 % face au billet vert sur une période de dix ans. La survenance de la pandémie n’a fait que plomber davantage la roupie qui s’est dépréciée de 27 % face au dollar sur la période de 2019 à 2024.

Depuis le 7 juin, la roupie perd de nouveau de sa vigueur, glissant de -1,6 % face au dollar. Pour des observateurs avertis, à l’instar de l’ancien ministre des Finances, Rama Sithanen, si la roupie faiblit ces jours-ci, c’est surtout parce que les banques utilisent l’instrument du forward rate sur un très court terme (jusqu’à 24 heures) pour les achats et ventes de devises étrangères.

La dépréciation de la roupie est l’un des facteurs alimentant l’inflation du fait qu’elle rend nos importations plus chères. Mais l’inflation est également causée par la politique fiscale expansionniste, en particulier elle a résulté de la pression exercée par la masse monétaire injectée dans l’économie suite à l’introduction du salaire minimum et du revenu minimum garanti et de l’augmentation substantielle des prestations sociales, dont la pension de vieillesse. Ainsi, pour la période de 2022 à 2024, l’inflation cumulée est calculée à 23 %.

En macroéconomie, on considère que l’inflation est un déflateur du PIB. Autrement dit, aussi longtemps que le pays sera dans un cycle inflationniste, cela se ressentira sur la croissance du PIB réel.

Par ailleurs, la conjugaison des deux facteurs que sont la roupie faible et l’inflation élevée a fait que le pays a fait du surplace quand on se base sur la croissance du PIB réel en dollars ces cinq dernières années. Ainsi, selon les prévisions du FMI, notre PIB pèsera 11 393 dollars pour 2024 (sur la base d’une croissance de 4,9 %) contre 11 408 dollars pour 2019.

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