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Édito

Mettre la Covid en perspective

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Philippe A. Forget

«Dans la lutte contre la Covid-19, nous avons mieux fait que nos voisins, ne serait-ce qu’en termes de mortalité. Cependant, les Maldives et les Seychelles ont une économie touristique qui tourne, au moins un peu, contrairement à la nôtre»

À regarder les chiffres récents de la Covid à Maurice, on pourrait penser que la situation est catastrophique. À la vérité, elle est moins bonne qu’avant et elle empire. Mais elle est certainement bien meilleure qu’ailleurs, y compris les îles voisines, et il n’y a aucune raison de paniquer au point d’inventer des fake news, comme les soldats infectés de la SMF !

Selon les compilations du New York Times (1), basées sur une moyenne de cas quotidiens sur les 7 derniers jours, au 10 juin dernier, les Seychelles ont 168 cas pour 100 000 habitants. Elles étaient les premières au monde ! Les Maldives, avec 44 cas identifiés pour 100 000 habitants sont 5e sur la planète. Maurice est quand même bien loti à la 102e place, avec 2 cas pour 100 000, la moyenne hebdomadaire de cas utilisée étant de 19. On fait mieux que le Botswana (23), l’Afrique du Sud (17), la Grande-Bretagne ou Cuba ou Fidji (13) l’Inde (5), la France (4) ou les États-Unis (3)…

Illustration edito 23 juin 2021

Un panneau rappelant le maintien de la distanciation physique sur les plages aux Seychelles. Photo Bloomberg Businessweek

Vous êtes surpris ? S’il faut regarder les chiffres dans l’absolu, qui classent le Brésil, l’Inde, la Russie, les États-Unis, l’Afrique du Sud et la Grande-Bretagne dans le top ten, ne faut-il pas aussi et surtout plus logiquement se référer aux chiffres relatifs ?

De toute évidence, ces chiffres sont les chiffres officiels communiqués par les pays individuellement et plus les pays ont des moyens, plus on teste et plus on dépiste des cas évidemment. Mais pour les mortalités, c’est, en général plus précis, même si l’on se bat à la marge sur comment comptabiliser quelqu’un souffrant de comorbidités, (est-il à l’article de la mort ?) ; qui contracte la Covid avant de mourir.

À cette échelle, nous nous défendions bien aussi. Les Seychelles, par ailleurs le 2e pays le plus vacciné au monde, est 2e aussi au titre du nombre de morts de Covid par 100 000 habitants (1,32), les Maldives sont 26e (0,27). Maurice, avec zéro mortalité sur cette période, se retrouvait au-delà du 150e rang mondial bien évidemment. Avec un mort de moyenne (par exemple, s’il y avait un mort tous les jours, sept jours de suite) nous nous retrouverions au-delà de la 110e place au monde !

Afin de corriger les pays qui, délibérément ou par manque de moyens, sous-estiment le nombre de mortalités dues à la Covid, il y a aussi la notion d’excess mortality qui compare la mortalité d’un pays, depuis la Covid, à la tendance des années précédentes. Tout excédent de mortalité par rapport à la tendance, par exemple dans le modèle de The Economist (2), peut alors être comparé aux déclarations officielles de mortalités de Covid. Selon cette mesure, on retrouve dans le groupe de tête des pays ‘déviants’, le Pérou, la Bulgarie, le Mexique, la Russie, la Serbie, le nombre d’excess death étant au moins au double du nombre de décès Covid déclarés et dans les cas russe et serbe, on en est au quadruple du nombre déclaré ! Maurice avait sur la période 2020-21, 340 morts de moins que la tendance…

Les Maldives et les Seychelles ont été exemplaires dans leur combat contre le coronavirus, mais sont déjà ouvertes au tourisme parce qu’elles en sont plus dépendantes que nous. Les Maldives, avec 540 000 habitants, du contact tracing agressif et l’avantage de pouvoir utiliser les 200 îles habitées parmi leurs 1 200 îles comme autant de ‘zones rouges’ capables d’être isolées, ont longtemps été un modèle tropical de comment combattre la Covid. Elles ont ainsi accueilli 300 000 touristes depuis juillet dernier sans trop de problèmes, vaccinant un maximum depuis mars. Pour sa promotion, les Maldives auront utilisé le rayonnement des influenceurs des réseaux sociaux (Ms Steel, Ms Chéri et une trentaine d’autres) ou de la télévision (ex : Richard Quest). Cependant, malgré le fait que 34 % de leur population ait déjà reçu 2 doses (les Seychelles : 69 %), les Maldives ont vu le nombre de cas augmenter fortement en mai, les fêtes du Ramadan ayant été autorisées en avril, ainsi que l’organisation d’élections régionales. Près de la moitié des 200 morts des Maldives datent de mai. Malé, la capitale, ville très dense, est un souci réel au niveau de la transmission. Trois vaccins ont été utilisés jusqu’au mois de mai : Covishield, Pfizer et Sinopharm. On ne sait dans quelles proportions. À la fin de mai, le Sputnik V a été autorisé aussi. Aux Seychelles, où le premier mort de Covid ne date que de janvier 2021, on a utilisé du Sinopharm (57 %), du Covishield (43 %) et un peu de Sputnik V. Au 9 juin, il y avait toujours 1 393 cas actifs et un total cumulé de 46 morts ; un cas sur trois de ceux récemment admis à l’hôpital, selon Bloomberg, étant vacciné avec deux doses. Les vaccins sont-ils en cause ? Ou est-ce que de nouveaux variants ont surgi ? Ou est-ce que ces chiffres démontrent que l’immunité de troupeau est bien plus élevée que 60 %, vu que les vaccins utilisés sont plus ‘faibles’ ? (3). Si on semble plus mourir récemment aux Maldives qu’aux Seychelles, est-ce le fait d’un moindre taux de vaccination ?

Les réponses ne sont pas encore totalement connues, pour l’heure…

Ces chiffres permettent de relativiser certaines choses. Si tout n’a pas été parfait ici dans la lutte contre la Covid-19, nous avons quand même mieux fait que nos voisins, ne serait-ce qu’en termes de mortalité. Cependant, les Maldives et les Seychelles ont une économie touristique qui tourne, au moins un peu, contrairement à la nôtre.

Comme le dit le ministre des Finances des Seychelles, Naadir Hassan, qui a dû gérer une contraction de 13 % de son économie en 2020, le pays ne peut pas rester figé en attendant les réponses à toutes ces questions. Le pays est une «open, vulnerable economy», disait-il dans une interview, le 13 mai dernier, ajoutant avec bon sens que «the country needs to be safe and the country needs to be open».

L’accent est à mettre sur le mot «and». Comme on l’a compris ici aussi, il nous faudra prendre un maximum de précaution ET vivre avec le virus.

Cependant faut-il vraiment interdire la plage et la mer, c’est-à-dire le plein air à nos concitoyens (voir photo), tout en leur permettant le bus et le métro avec vitres fermées – puisque… c’est l’hiver ?

Philippe A. Forget

(1) Le NYTimes se base sur les chiffres compilés par la très respectée John Hopkins University, mais fait aussi un travail critique :

 https://www.nytimes.com/interactive/2021/world/covid-cases.html

(2) https://www.economist.com/graphic-detail/coronavirus-excess-deaths-tracker

(3) Ms Raina McIntyre, Head of Biosecurity program à la Kirby Institute de l’Université de New South Wales, écrivant le 19 mai dernier dans The Conversation, souligne ainsi qu’un vaccin efficace à 90 % assure l’immunité de troupeau quand 66 % de la population est vaccinée, mais qu’à 80 %, il faut vacciner 75 % et qu’à 70 % d’efficacité, il faut vacciner 86 % de la population. À 60 % d’efficacité et moins, il n’y aurait pas d’immunité de troupeau possible, même si les individus sont couverts, selon le taux d’efficacité propre à chaque vaccin…

https://theconversation.com/covid-is-surging-in-the-worlds-most-vaccinated-country-why-160869

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